Que s’est-il passé avec el-Béchir en Afrique du Sud ?

Bashir Cartoon

Le week-end du 6 et 7 juin, le président soudanais Omar el-Béchir s’est rendu en Afrique du Sud, un Etat partie à la CPI, pour participer à un sommet de l’Union africaine. Pourquoi n’a- t-il pas été arrêté, et qu’est-ce que cela pourrait signifier pour la Cour ?

L’obligation d’arrestation de l’Afrique du Sud

La CPI a délivré deux mandats d’arrêt contre el-Béchir. En tant qu’Etat partie au Statut de Rome de la CPI, l’Afrique du Sud avait l’obligation d’arrêter et de transférer le président soudanais à La Haye.

L’article 86 du Statut de Rome dispose que les États parties doivent coopérer pleinement avec la CPI, tandis que l’article 89 exige expressément des Etats qu’ils se conforment aux demandes d’arrestation et de remise de la Cour.

Qui a fait quoi?

Le South African Litigation Center, une organisation de la société civile, a saisi un tribunal sud-africain dans le but de faire arrêter el-Béchir. Le tribunal a ordonné el-Béchir de rester dans le pays en attendant sa décision, mais il a pu quitter le pays avant qu’une décision a été prise.

L’Afrique du Sud a estimé qu’el-Béchir bénéficiait d’une immunité en tant que chef d’Etat participant à un sommet de l’UA, un argument souvent avancé par l’UA elle-même. Toutefois, le Statut de Rome interdit expressément l’immunité pour toute personne, indépendamment de sa fonction politique. Le Conseil de sécurité des Nations Unies, en renvoyant la situation au Darfour à la CPI, a implicitement levé toute immunité d’el-Béchir.

L’Afrique du Sud a été rappelée de son obligation d’exécuter les mandats d’arrêt contre el-Béchir par le président de l’organe dirigeant de la CPI, ainsi que par une décision prise par la CPI en urgence qui a déclaré explicitement qu’aucune autre décision, y compris celles prises par l’UA, ne pourraient être invoquée pour accorder l’immunité à el-Béchir.

La société civile s’est également prononcée fermement contre la visite d’el-Béchir et a appelé à son arrestation s’il devait mettre les pieds sur le territoire sud-africain.

Qui a dit quoi?

Dans le sillage de la visite d’el-Béchir en Afrique du Sud, des responsables gouvernementaux, des médias et des universitaires ont analysé ce que signifie cet épisode pour l’avenir de la CPI.

La société civile a fermement condamné l’Afrique du Sud pour ne pas avoir arrêté el-Béchir, tout en saluant la décision du tribunal l’ordonnant de rester dans le pays.

Le comité de rédaction du New York Times a critiqué la décision de l’Afrique du Sud de laisser el-Béchir s’en aller, la qualifiant d’honteuse. Le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a déclaré que les Etats membres de la CPI doivent arrêter el-Béchir, mais l’archevêque Desmond Tutu a déclaré que le refus des plus grandes puissances mondiales de se conformer à la CPI a créé les conditions pour que l’Afrique du Sud refuse de le faire elle-même. Pendant ce temps, les réfugiés du Darfour ont dit qu’ils ont été rassurés par l’ordonnance du tribunal demandant l’arrestation d’el-Béchir.

La présidence du Botswana a condamné l’Afrique du Sud pour avoir laissé el-Béchir s’en aller et a appelé tous les Etats membres de la CPI à coopérer avec la Cour. Le Département d’Etat américain a exprimé sa préoccupation quant à la visite d’el-Béchir. Le parti au pouvoir en Afrique du Sud a salué la décision du gouvernement d’accueillir el-Béchir, et a déclaré que la CPI n’est plus d’aucune utilité.

L’universitaire Mark Kersten a fait valoir que, même si le résultat n’est pas idéal, la visite d’el-Béchir pourrait en fait renforcer le droit international et montrer l’impact que la CPI a sur les décisions d’un Etat, alors que Jens David Ohlin se demande si la visite d’el-Béchir pousserait l’AEP ou le Conseil de sécurité de l’ONU à prendre des mesures. Alex Whiting a estimé que l’affaire démontre que la puissance de la CPI dépendra toujours de la volonté des Etats, et David Bosco a soutenu que l’incident a été préjudiciable à la Cour.

Un professeur d’université travaillant avec l’International Justice Project qui était en Afrique du Sud lors du sommet de l’UA a déclaré que l’opinion publique sur la présence et le départ d’el-Béchir était partagée.

Le juge Richard Goldstone et Marie-Claude Jean-Baptiste du Centre Cyrus R. Vance pour la Justice Internationale ont écrit que les actions de l’Afrique du Sud menacent sa réputation internationale ainsi que l’Etat de droit dans le pays. Liesl Gerntholz de Human Rights Watch estime que le non-respect par le gouvernement des décisions de justice était dommageable pour la démocratie en Afrique du Sud.

Et maintenant ?

Pour avoir refusé de se conformer à son obligation d’arrêter el-Béchir, les juges de la CPI pourraient renvoyer l’Afrique du Sud au Conseil de sécurité de l’ONU et à l’organe directeur de la Cour, l’Assemblée des États parties (AEP). Il appartient ensuite à ces deux organes de prendre des mesures supplémentaires.

Par le passé, la CPI a jugé que le Tchad, le Malawi, le Kenya et Djibouti ont chacun refusé de coopérer avec la Cour en n’arrêtant pas el-Béchir.

La High Court d’Afrique du Sud a donné au gouvernement une semaine pour expliquer pourquoi il a laissé el-Béchir quitter le pays.

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