Verdict contre Bemba : Premier procès sur la responsabilité de commandement – tout ce que vous devez savoir

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Le 21 mars 2016, la CPI émet son quatrième jugement dans l’affaire contre Jean-Pierre Bemba. Le leader politique et chef de milice congolais est accusé d’être responsable des crimes graves qui auraient été commis par une milice sous son contrôle en République centrafricaine (RCA) en 2002-2003. Voici tout ce que vous devez savoir en attendant le rendu du verdict très attendu dans le premier procès de la CPI impliquant la « responsabilité de commandement » et l’utilisation présumée du viol comme arme de guerre.

Le MLC soupçonné de meurtre, de viol et de pillage en République centrafricaine en 2002-2003

À la fin de 2002, à l’invitation du président de l’époque de la RCA Ange-Félix Patassé, la milice congolaise Mouvement de Libération du Congo (MLC) a formé une coalition avec le gouvernement de la RCA pour contrer un coup d’Etat dirigé par le chef d’état-major François Bozizé.

Après cinq mois passés dans le pays et se trouvant dans l’incapacité d’empêcher le coup d’État, les combattants du MLC se seraient lancés dans des actes de meurtre, de viol et de pillage contre la population civile centrafricaine.

Le gouvernement de la RCA demande l’aide de la CPI

Le gouvernement centrafricain sous Bozizé a déféré la situation à la CPI en janvier 2005. En avril 2006, la Cour de cassation de la RCA (la plus haute juridiction pénale du pays) a déterminé que le système judiciaire du pays n’était pas en mesure de mener des enquêtes et des poursuites efficaces, et que seule la CPI était capable de poursuivre les crimes les plus graves commis en RCA depuis le 1er juillet 2002.

Après un examen préliminaire, en mai 2007, le procureur a annoncé l’ouverture de l’enquête sur les crimes graves qui auraient été commis en RCA, avec le pic de violence survenant en 2002 et 2003.

Le Bureau du Procureur de la CPI a indiqué attendre la décision de la Cour de cassation avant de décider d’ouvrir une enquête en RCA, sur la base du principe de complémentarité prévue dans le Statut de Rome, qui soutient que la CPI n’interviendra que si les autorités nationales manquent à le faire.

Dans une décision d’octobre 2010 rejetant l’appel de Bemba contre la décision sur la recevabilité de l’affaire, la Chambre d’appel de la CPI a indiqué que la RCA avait n’avait pas la capacité nationale à mener ce procès.

Jean-Pierre Bemba accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre

En mai 2008, la Chambre préliminaire II de la CPI (CP II) a autorisé la demande du procureur d’émettre un mandat d’arrêt contre Jean-Pierre Bemba, président et commandant en chef présumé du MLC. Bemba a également été vice-président de la République démocratique du Congo (RDC) de 2003 à 2006.

Le mandat initial indiquait un chef d’accusation de crimes contre l’humanité (viol) et deux chefs d’accusation de crimes de guerre (viol et pillage) qui auraient été commis par les troupes du MLC pendant la conflit armé interne de 2002-2003 en RCA. En juillet 2008, les juges https://www.icc-cpi.int/iccdocs/doc/doc535163.pdfont mis à jour le mandat, en ajoutant les charges de meurtre à la fois comme un crime contre l’humanité et crime de guerre.

Le jour après la délivrance du mandat sous scellés, les autorités belges ont arrêté Bemba, qui était dans le pays à l’époque, et l’ont remis à la CPI.

En juin 2009, la CP III a renvoyé l’affaire à un procès en confirmant deux chefs d’accusation de crimes contre l’humanité (viol et meurtre) et de trois chefs de crimes de guerre (viol, meurtre et pillage). Les accusations de torture et d’atteintes à la dignité de la personne ont été rejetées.

En juin 2009, la CP III a accordé une demande de l’accusation de requalifier le rôle présumé de Bemba à la « responsabilité de commandement » en vertu de l’article 28 (a) du Statut de Rome.

Bien que la CP II ait accordé la liberté provisoire de Bemba en août 2009 en attendant le début du procès, la Chambre d’appel a infirmé la décision en décembre 2009.

Premier procès de la CPI sur la responsabilité de commandement

Bemba est le premier suspect de la CPI à être poursuivi pour la responsabilité pénale présumée en tant que commandant militaire. Le procureur allègue qu’il savait ou aurait dû savoir que les combattants du MLC sous son contrôle commettaient des crimes, et qu’il a manqué à répondre de manière appropriée.

William Pace, coordinateur de la Coalition pour la Cour pénale internationale, sur l’ouverture du procès

« Les victimes et la société civile de la République centrafricaine ont longtemps recherché la justice pour les crimes terribles que M. Bemba est accusé d’avoir commis. »

Au cours du procès, qui a duré de 2010 à 2014, l’accusation a soutenu que le MLC avait une chaîne de commandement bien définie, en insistant sur l’utilisation de transmissions radio comme un moyen pour Bemba de maintenir la commande à distance de la RDC. Comme preuve du manquement de Bemba à exercer la responsabilité appropriée pour ceux qui sont sous son commandement, l’accusation a déclaré que Bemba fait une utilisation restreinte et inappropriee du code de conduite du MLC, du conseil de discipline, et des tribunaux militaires, la plupart dont il a établi.

Les visites faites par Bemba en RCA au cours de la campagne du MLC, les discours citant des crimes de guerre à ses troupes, les correspondances liées aux rapports officiels sur ces crimes, et l’insuffisance de formation des troupes du MLC ont également été présentés comme preuve de commandement effectif de Bemba, de sa connaissance des crimes commis, et de son manquement à prendre des mesures responsables.

Bemba nie les accusations. Sa défense a soutenu que l’ancien président de la RCA, Patassé, avait le contrôle opérationnel de la coalition RCA-MLC. La défense a ajouté que les auteurs des crimes reprochés ne sont pas les combattants du MLC de Bemba. La défense a également fait valoir que la condamnation dans l’affaire dissuaderait les pays d’offrir une assistance militaire à d’autres.

Les juges du procès ont reçu 733 éléments de preuve et entendu les témoignages de 74 témoins.

Un nombre record de victimes participant à un procès de la CPI

Au moins 5 229 victimes civiles – dont cinq ont témoigné à titre de témoins – ont été autorisés à participe au procès contre Bemba, le plus grand nombre de victimes participantes dans l’histoire de la CPI à ce jour. Selon le Statut de Rome de la CPI, les victimes qui participent au procès de la CPI peuvent recevoir des réparations si un verdict de culpabilité est prononcé.

Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme lors de l’ouverture du procès contre Bema

« Le nombre de victimes demandent à participer à ce procès est sans précédent. Des centaines de victimes de viol, de meurtre et de pillage ont exercé leurs droits en demandant de prendre part à la procédure ».

Une affaire historique pour la poursuite des crimes sexuels et sexistes

Le procès Bemba est le premier procès de la CPI à se concentrer sur le viol comme arme de guerre, et a été largement salué comme une affaire décisive pour la poursuite des crimes sexuels et sexistes qui continuent d’être commis dans les conflits à travers le monde. Les crimes sexuels et sexistes ont été poursuivis dans d’autres procès de la CPI, mais aucun n’a abouti à une condamnation.

La Fédération internationale des droits de l’homme et ses organisations membres :

« Le procès a été d’une importance cruciale en raison de son accent particulier sur les crimes sexuels et les crimes de violence sexuelle. Il a donc indéniablement contribué à sensibiliser davantage sur l’effet destructeur de l’utilisation des violences sexuelles comme arme de guerre systématique sur les femmes et les hommes, et a contribué à briser le silence et la stigmatisation des victimes de viol ».

En ouvrant l’enquête en RCA, l’ancien procureur de la CPI Luis Moreno Ocampo a souligné que des centaines de victimes ont signalé des la perpétration de viols et d’autres violations commises « avec une cruauté particulière ». Le procureur a également expliqué que ce fut la première fois que la CPI a ouvert « une enquête dans laquelle les allégations de crimes sexuels surpassaient le nombre de meurtres présumés ». Un rapport estime que sur environ 1 000 victimes civiles, 700 étaient victimes de viol.

Le procès Bemba a présenté le plus grand nombre de témoins témoignant de la commission des crimes sexuels et sexistes. Sur les 40 témoins de l’accusation, 14 ont témoigné au sujet des violences sexuelles qui auraient été commises par les troupes du MLC de Bemba. Neuf des 34 témoins de la défense ont témoigné par rapport aux accusations de viol, en attribuant les viols aux combattants non membres du MLC.

Selon les organisations des droits de l’homme, les victimes/survivantes étaient âgées entre six et 60 ans, avec des centaines de cas de blessures liées au viol, d’infections des MST et du SIDA, de grossesses non désirées, et de certains décès, dans un contexte d’un traumatisme en raison du rejet de la communauté et de la honte ressentie par les victimes/survivantes, et leurs conjoints et les membres de leur famille immédiate.

Women’s Initiatives for Gender Justice, membre du comité exécutif de la Coalition pour la CPI, estime que le volume de preuves liées aux crimes sexuels et sexistes fait de l’affaire Bemba une affaire historique, notant en outre qu’aucun des trois verdicts précédents de la CPI n’a accordé de réparations aux victimes sur la base des crimes sexuels et sexistes.

Brigid Inder, Directrice générale de Women’s Initiatives for Gender Justice sur l’ouverture du procès en 2010 :

« Ce procès est historique pour la CPI, avec des preuves de violence sexuelle constituant une partie importante de la thèse de l’accusation, et en tant que premier procès de la CPI poursuivant un accusé pour sa responsabilité de commandement pour le crime de viol. Le procès Bemba présente une opportunité pour la Cour de dire tout d’abord aux femmes que les crimes de violence sexuelle sont suffisamment importants pour poursuivre ceux qui commettent de tels actes ; et d’autre part aux dirigeants des forces armées et des milices, que s’ils ne parviennent pas à empêcher ou punir leurs subordonnés pour la commission de crimes sexistes, ils seront tenus responsables. »

Bemba et quatre associés accusés de subornation de témoin

Alors que le procès Bemba tirait à sa conclusion, le procureur de la CPI a porté des accusations contre Bemba et quatre associés pour suspicion de subornation de témoin. Ces accusations sont traitées dans un procès distinct qui a commencé en septembre 2015.

La Procureur de la CPI soutient que, depuis le début de 2012, les témoins de la Défense ont été soudoyés pour faire un faux témoignage. L’accusation estime que Bemba a utilisé la ligne téléphonique privilégiée de son centre de détention pour planifier et coordonner le plan criminel présumé avec quatre ressortissants congolais.

Les quatre autres accusés sont : Aimé Kilolo-Musamba, l’avocat principal de la défense de Bemba à l’époque ; Jean-Jaques Mangenda Kabongo, qui faisait également partie de l’équipe de défense de Bemba ; Fidèle Babala Wandu, membre du parlement de la République démocratique du Congo (RDC) et secrétaire général adjoint du Mouvement pour la libération du Congo de Bemba ; et Narcisse Arido, un témoin de la défense expert sur les opérations militaires dans l’affaire Bemba.

Que se passe-t-il ensuite ?

Le lundi 21 mars, les juges de la CPI rendront leur verdict dans l’affaire Bemba en audience publique à 14h00 (heure locale de La Haye).

En cas d’acquittement, Bemba sera libéré sous caution en raison de son procès en cours pour subornation de témoins. Par contre en cas de condamnation, une audience de détermination de la peine et des procédures de réparation pour les 5 229 victimes participantes se tiendront.

Les deux parties ont le droit de faire appel du verdict.

Dans le cas d’une condamnation, certaines victimes peuvent être en mesure d’accéder au mandat unique de réparation de la CPI par le biais d’une ordonnance de réparation de la Cour mise en œuvre par le Fonds au profit des victimes (TFV).

Les conditions de sécurité en RCA ont empêché le FPV de former un partenariat avec des groupes locaux pour fournir une assistance de réadaptation à des stades antérieurs de l’affaire.

Ressources de la société civile

Coalition pour la CPI Page sur la RCAPage sur l’affaire Bemba

21 mars : CPI : le verdict tant attendu dans le procès contre Jean-Pierre Bemba sera prononcé le 21 mars, Fédération internationale des droits de l’homme

Bemba à la CPI : Bemba devant la CPI : 15 ans d’action de la FIDH, de l’enquête de terrain aux conclusions du Procureur, Fédération internationale des droits de l’homme

Le procès Bemba teste le viol comme crime de guerre, Amnesty International

CPI : Q&R sur le procès de Jean-Pierre Bemba, Human Rights Watch

Document d’information – Le procès de Jean-Pierre Bemba à la CPI, Open Society Justice Initiative

Présentation générale – Le procès de Jean-Pierre Bemba à la CPI, Open Society Justice Initiative

Premier procès de la CPI sur la responsabilité de commandement – tout ce que vous devez savoir, Coalition pour la CPI

Lire davantage

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