
Des activités de sensibilisation de la CPI en Côte d’Ivoire. © ICC-CPI
Avec l’ouverture à La Haye du procès très politisé pour crimes contre l’humanité de l’ancien président de la Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo et son allié Charles Blé Goudé, le besoin de communication et de sensibilisation efficaces par la CPI n’a jamais été aussi important. Mais les mesures essentielles pour rapprocher la CPI des victimes et des communautés affectées risquent d’échouer si elles ne sont pas suffisamment financées.
La sensibilisation : un combat difficile
ALORS QUE les victimes de crimes atroces sont au cœur du travail de la CPI, les communautés locales ont souvent du mal à comprendre ou à suivre les procé- dures qui se déroulent loin d’elles, dans la salle d’audience à La Haye. Le travail en cours pour renforcer la présence de la Cour sur le terrain est une occasion importante pour mener des réformes, mais ne pourra réussir qu’avec un financement adéquat
Plusieurs bureaux de la CPI ont travaillé pour rendre la justice plus visible au cours des dernières années. Le greffe de la Cour, principalement à travers son unité de la sensibilisation, promeut une meilleure compréhension de la Cour dans les pays où celle-ci est active. La sensibilisation est également indispensable pour réduire les risques sécuritaires et créer des conditions propices au travail de la Cour de manière générale, par exemple pour faciliter la participation des victimes.
Cependant, la stagnation des budgets et le sous-effectif, auxquels s’ajoute un nombre croissant d’enquêtes, ont forcé l’unité de la sensibilisation à limiter ses activités aux victimes directement affectées dans les affaires qui atteignent le stade du procès. Cela signifie que les autres victimes et communautés n’ont généralement pas été prises en charge.
Il existe aussi des besoins immenses d’information qui ne sont pas satisfaits dans des situations où la CPI mène des examens préliminaires, notamment en Ukraine, en Palestine, en Colombie ou encore au Nigeria.
Elizabeth Evenson, conseillère justice internationale senior à Human Rights Watch
« Le champ d’action de la Cour pénale internationale s’étend dans le monde entier ; toutefois le cœur de sa mission consiste à rendre justice aux communautés affectées par des atrocités de masse. Les représentants de la CPI devraient veiller à ce que les actions de la Cour aient une résonnance dans ces communautés. Renforcer l’impact de la Cour sur le terrain ne devrait pas être relégué au second plan.»
Faux pas en Côte d’Ivoire
Un rapport de Human Rights Watch paru en 2015 a mis en lumière le lien entre les ressources limitées pour la sensibilisation et la persistance d’opinions négatives dont la CPI fait l’objet en Côte d’Ivoire. Il conclut que les perceptions de parti pris qui découlent de la focalisation jusqu’à présent du procureur sur l’ancien pré- sident Laurent Gbagbo et ses alliés ont été accompagnées d’une sensibilisation qui n’a ciblé que les victimes directement affectées par les affaires à la CPI.
En outre, en raison du manque de fonds, le personnel de sensibilisation n’a été déployé en Côte d’Ivoire qu’en octobre 2014, soit trois ans après l’ouverture de l’enquête. Si une leçon peut être tirée des premières années de la CPI, c’est qu’il est essentiel de sensibiliser les acteurs locaux clés le plus tôt possible.
Avec le procès politiquement sensible de Gbagbo—accusé avec son allié Charles Blé Goudé—qui s’ouvre à la CPI en janvier 2016, il est indispensable que le personnel de sensibilisation soit présent en Côte d’Ivoire pour communiquer des messages clés et contrer la désinformation tout au long du procès.
Ali Ouattara, président de la Coalition ivoirienne pour la CPI
« Le bureau sur le terrain de la CPI apporte une visibilité dont la Cour a besoin en Côte d’Ivoire. Néanmoins, le retard pris dans son ouverture et le sous-effectif ont un impact négatif sur l’opinion publique. Beaucoup d’ivoiriens perçoivent la CPI comme une justice des vainqueurs. La Cour doit encore renforcer ses activités de communication et de sensibilisation afin de remédier à la désinformation qui affecte son image, en atteignant toutes les victimes quel que soit leur bord politique, et pour améliorer l’efficacité de son administration de la justice. »
Besoin de fonds
En 2015-2016, un plan de restructuration—le projet de ReVision—va créer une nouvelle division au sein du greffe de la CPI pour les relations extérieures et les fonctions liées au terrain, avec davantage de fonds et de personnel pour les bureaux sur le terrain. Il prévoit des directeurs de bureaux hautement qualifiés et habilités à travailler aux niveaux politique et diplomatique, devenant ainsi le représentant de la Cour dans le pays.
Le projet de ReVision constitue une opportunité importante pour la CPI de renforcer la sensibilisation, rapprocher la justice des victimes et des communautés affectées et implanter les leçons tirées des ses premières années d’activités. Les États membres de la CPI qui soutiennent une Cour efficace doivent à présent faire en sorte que le greffe ait les moyens de faire du renforcement de la présence sur le terrain une réalité.
Alison Smith, directrice du programme justice international à No Peace Without Justice
« Il est essentiel que la CPI et les États parties s’engagent fermement pour une sensibilisation efficace et pour augmenter la présence sur le terrain de la CPI, qui a malheureusement manqué lors de la dernière décennie. Le processus de ReVision est déterminant pour garantir que la CPI ait un impact utile et positif dans les pays où elle travaille. Mais il y a un réel danger qu’il s’effondre en cas d’insuffisance de fonds. »
Cet article est issu du Moniteur de la Justice Globale 2015-2016, la publication annuelle sur la justice internationale publiée par la Coalition pour la Cour pénale internationale, un réseau de la société civile présent dans 150 pays.
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