
Un tank russe bloque une autoroute géorgienne au cours de la guerre de 2008 entre la Russie et la Géorgie , pressentie pour faire l’objet d’une enquête de la CPI Ⓒ Demotix/Onnik Krikorian
Elizabeth Evenson, juriste senior au programme de justice internationale chez Human Rights Watch et Jonathan O’Donohue, conseiller juridique pour Amnesty International, jugent la proposition d’expansion de la CPI nettement insuffisante pour répondre aux importantes demandes qui attendent la Cour.
Le Bureau du Procureur (BdP) de la CPI a proposé une augmentation de ses capacités sur les trois prochaines années pour parvenir à ce qu’il considère comme sa « configuration de base », qui requerrait 18 millions d’euros supplémentaires par an. Pour le BdP, il s’agit du minimum nécessaire pour « répondre aux sollicitations efficacement sans sacrifier pour autant la qualité. »
Si la configuration de base est mise en oeuvre, le budget annuel du BdP atteindra 60 millions d’euros et le budget total de la Cour dépassera très certainement 150 millions d’euros. Il s’agit là d’un investissement considérable. Mais la justice internationale ne sera jamais bon marché et le budget ne parait pas si important quand on le compare avec celui d’autres grandes institutions internationales et multilatérales.
Chercher à déterminer les capacités fondamentales de la CPI va permettre de s’éloigner de l’approche sur le court terme actuelle, à savoir l’adoption annuelle du budget de la CPI. La Cour est financée par ses États membres. Au cours des dernières années, leur prise de décision a été influencée par les pressions de quelques États visant à minimiser les coûts et même à imposer une politique du « zéro augmentation », et cela malgré une hausse des demandes et de la charge de travail. Cela a miné le travail de la Cour, permis aux États de faire porter les négociations relatives au budget sur des objectifs artificiels, et déformé la compréhension des besoins budgétaires réels de la Cour.
Avec la configuration de base proposée, le BdP serait capable d’ouvrir une nouvelle situation chaque année avec un maximum de six enquêtes actives, toutes situations confondues. Il s’agit certainement d’une grande avancée par rapport à ses quatre enquêtes actives en 2015. Néanmoins, avec l’accumulation d’enquêtes dans les affaires existantes, une nouvelle demande pour enquêter en Géorgie, et huit pays faisant l’objet d’un examen préliminaire en attente d’une décision sur l’ouverture d’une éventuelle enquête, l’augmentation de deux enquêtes supplémentaires ne sera probablement pas suffisante.
Le BdP reconnait pleinement ces limites. Il estime que sa proposition mènera à « un rythme d’activité inférieur au niveau de demande maximale », nécessitant un « degré raisonnable de priorisation » dans son travail potentiellement jusqu’à 2021 et que davantage de capacités ne seront demandées pendant cette période seulement si « des circonstances imprévisibles et exceptionnelles » se matérialisent.
Au regard des demandes actuelles, si la CPI accepte des capacités si limitées pour une période aussi longue, elle pourrait prendre encore plus de retard, privant ou retardant la justice pour les victimes. Cela pourrait également accroitre les critiques sur l’efficacité de la Cour et les accusations de parti pris en lien avec les affaires et situations auxquelles elle donne la priorité par rapport à d’autres.
Selon nous, une approche plus ambitieuse est nécessaire. Au moment même où elle travaille pour atteindre une expansion plus immédiate, la CPI devrait établir sa « configuration optimale »- c’est-à-dire le nombre d’enquêtes supplémentaires, d’affaires et de procès qu’une CPI efficace et très performante pourrait mener. Les États membres de la CPI devraient commencer dès maintenant à réfléchir à comment garantir à la CPI des fonds suffisants pour qu’elle puisse, une fois sa « configuration de base » atteinte, s’adapter rapidement et efficacement aux périodes de fortes demandes.
Ce texte est une version abrégée d’une contribution initialement parue sur openDemocracy.
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