Dans cet article publié sur International Justice Monitor, Elizabeth Evenson de Human Rights Watch demande des enquêtes crédibles sur les récentes morts de deux hommes dans un contexte d’affaires en cours devant la CPI visant le Vice-Président William Ruto et l’animateur de radio Joshua Sang.
John Kituyi, journaliste et rédacteur en chef de l’hebdomadaire kenyan Mirror vétéran, a été assassiné le 30 avril comme il rentrait chez lui après le travail. Le Comité pour la Protection des Journalistes a rapporté que des assaillants non identifiés ont violemment battu Kituyi. Il est mort plus tard à l’hôpital d’Eldoret.
La famille de M. Kituyi, des collègues journalistes et des militants des droits humains à Eldoret ont fait un lien entre son assassinat et un récent article sur l’affaire visant le Vice-président William Ruto et l’ancien animateur de radio Joshua Arap Sang devant la Cour pénale internationale (CPI). Ruto et Sang font face à des accusations suite aux attaques brutales qui ont éclatées au cours des violences postélectorales de 2007-2008 au Kenya, dont l’épicentre était Eldoret.
La famille de Kituyi – soutenue par un parlementaire local – appelle à une enquête complète, et la police a confirmé que celle-ci est en cours.
L’assassinat de Kituyi n’est pas le seul commis dans la région d’Eldoret au cours des derniers mois à soulever des questions quant à un lien éventuel avec les enquêtes de la CPI.
Le 28 décembre, Meshack Yebei a été enlevé au centre commercial de la ville voisine Turbo. Après cet enlèvement, l’équipe de défense de Ruto à la CPI a déclaré qu’elle avait prévu d’appeler Yebei comme témoin de la défense, alors que l’équipe du procureur de la CPI affirme avoir des preuves de l’implication de Yebei dans un réseau visant à corrompre ou menacer des témoins du procureur dans l’affaire Ruto et Sang. En février, des responsables de Haki Africa, une organisation de droits de l’homme basée à Mombasa, ont découvert le corps de Yebei par hasard dans une morgue à Voi.
La famille de Yebei, et l’avocat de Ruto, d’après lequel Yebei était menacé d’enlèvement l’an dernier par un témoin non identifié du procureur de la CPI et qu’il avait nié les allégations du procureur à son encontre, ont demandé l’ouverture d’une enquête et le procureur de la CPI ainsi que le greffe de la Cour ont offert leur aide. La police a ouvert une enquête, mais aucun résultat n’a été rendu public jusqu’à présent.
Au moment de la disparition de Yebei, journalistes à Eldoret qui avaient écrit à propos de son enlèvement ont reçu des menaces, forçant certains journalistes ou des militants des droits de l’homme dans la clandestinité ou à abandonner l’histoire tout à fait.
L’on ne sait pas ce qui est arrivé à Kituyi et Yebei, mais des enquêtes crédibles sont essentielles. Plusieurs témoins dans les affaires concernant le Kenya à la CPI ont changé d’avis quant à leur témoignage, invoquant des inquiétudes pour leur sécurité. Les décès de Kituyi et surtout de Yebei risquent d’accroitre encore plus les craintes des victimes et des témoins – qu’ils agissent pour le procureur ou la défense- quant à leur sécurité. Déterminer si ces meurtres sont liés aux enquêtes de la CPI est important afin de lutter contre lesdites craintes.
Malheureusement, il est légitime d’être sceptique quant à savoir s’il y aura de véritables enquêtes. Il y a eu des allégations d’ingérence omniprésente visant des témoins de la CPI et de l’hostilité envers les procédures judiciaires de la CPI au Kenya, et une absence regrettable de toute réponse significative des autorités kenyanes.
Le Président Uhuru Kenyatta, dont les accusations similaires dont il était l’objet devant la CPI ont été abandonnées en fin d’année dernière, a fait campagne conjointe avec Ruto en 2013, s’engageant personnellement à coopérer avec la CPI.
Cependant, une fois au pouvoir, cependant, leur administration a lancé un assaut politique contre la CPI, la qualifiant de « joue des puissances impériales sur le déclin ». Le gouvernement a coopéré à faciliter la comparution de certains témoins du procureur dans le procès Ruto et Sang. Toutefois, selon les juges de la CPI, le gouvernement n’a pas coopéré dans l’affaire contre Kenyatta, compromettant ainsi les enquêtes du procureur.
Les réseaux sociaux et les blogs au Kenya ont été utilisés pour publier l’identité des prétendus témoins de la CPI. Cela a conduit à des menaces contre certains individus identifiés à tort comme témoins. Les autorités connissent au moins quelques unes des personnes à l’origine des blogs mais n’ont fait aucun effort apparent pour mettre fin à la spéculation autour des témoins.
L’un des derniers témoins prévus dans l’affaire Ruto et Sang a refusé de se présenter à la barre, invoquant de sérieuses craintes sécuritaires.
La CPI a déjà émis un mandat d’arrêt pour un autre homme basé à Eldoret, l’ancien journaliste Walter Barasa, l’accusant de tentative de corruption des témoins dans l’affaire Ruto et Sang. Un tribunal kenyan a émis un mandat pour Barasa, mais Barasa a fait appel.
Les autorités du Kenya doivent être déterminées à établir la vérité sur ce qui est arrivé dans les deux meurtres. Des enquêtes crédibles constitueraient une première étape pour fournir des réponses aux familles de ces deux hommes. Mais s‘il y a un lien avec les poursuites de la CPI, les enquêtes peuvent également exposer des efforts plus larges visant à saper le processus judiciaire. Il est tard, mais pas trop tard, pour le gouvernement kenyan à montrer qu’il cherchera à établir la vérité dans ces cas, et ce où qu’elle mène.
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