
Soldats britanniques en Irak.© Cathal McNaughton/PA
La décision du procureur de la CPI d’ouvrir un nouvel examen préliminaire sur les crimes internationaux qui auraient été commis par les soldats de l’armée britannique en Irak a suscité de vives réactions et une certaine confusion.
Que va-t-il se passer par la suite et comment les gens ont-ils réagi?
Comment l’examen préliminaire en Irak va fonctionner
Un examen préliminaire a lieu afin de déterminer si l’ouverture d’une enquête complète est justifiée.
Le Statut de Rome énumère les critères devant être pris en compte dans le cadre d’un examen préliminaire. Le travail du procureur est divisé en plusieurs phases.
Phase UN: La collecte de toutes les informations nécessaires pour déterminer de manière éclairée si les crimes présumés relèvent de la compétence de la Cour et s’il y a des motifs raisonnables de procéder à une enquête complète.
Le procureur a annoncé l’ouverture d’un nouvel examen suite aux informations (plainte) communiquées à la Cour en janvier par l’European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) et Public Interest Lawyers (PIL), indiquant que les soldats britanniques auraient systématiquement infligé de mauvais traitements aux détenus en Irak entre 2003 et 2008.
Phase DEUX: Ayant reçu les informations, le Bureau du Procureur (BdP) doit ensuite déterminer si sa compétence s’applique aux crimes présumés. Cette phase correspond à l’ouverture formelle d’un examen préliminaire.
Cela requiert de vérifier les informations suivantes:
- Quand les crimes présumés ont-ils été commis? Généralement la compétence de la CPI ne s’applique qu’une fois qu’un État est devenu membre. Étant donné que le Royaume-Uni a rejoint la CPI dès sa création, la compétence de la Cour vis-à-vis du pays s’applique depuis 2002.
- Des crimes relevant de la CPI ont-ils été commis? Actuellement, la CPI est compétente pour juger les crimes internationaux les plus graves : le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.
- Le procureur devra déterminer si les crimes décrits dans les informations transmises par le ECCHR et PIL constituent des crimes internationaux.
- Où les crimes ont-ils été commis et par qui? La CPI ne peut juger les crimes que s’ils ont été commis soit sur le territoire d’un État partie (compétence territoriale) soit par un ressortissant d’un État qui a rejoint la CPI (compétence personnelle).
Dans le cas du Royaume-Uni, les crimes auraient été commis en Irak, qui n’est pas partie à la CPI et n’a pas accepté la compétence de la CPI. Par conséquent la CPI ne pourra pas exercer sa compétence territoriale.
En revanche, étant donné que les auteurs présumés des crimes sont des ressortissants britanniques, la CPI pourrait appliquer sa compétence personnelle.
Phase TROIS:À partir de là, le procureur cherche et examine toute poursuite nationale pertinente et effort pour enquêter sur les crimes présumés, afin de déterminer si l’affaire est recevable devant la CPI.
La Cour ne s’engagera que si l’État en question ne mène pas de véritables enquêtes ou n’engage pas de poursuites contre les auteurs présumés des crimes. Ce concept, plus connu sous le nom de complémentarité, est au cœur du système du Statut de Rome.
Dans le cadre de l’examen préliminaire en Irak, le procureur vérifiera si des enquêtes ou des poursuites relatives aux affaires susceptibles de faire l’objet d’une enquête du BdP, ont eu lieu au Royaume-Uni ou ailleurs.
Pour finir, le procureur examinera si l’affaire est suffisamment sérieuse, tant en termes de quantité que de qualité, pour justifier une action plus poussée.
En 2006, le procureur de l’époque Luis Moreno-Ocampo avait décidé de ne pas ouvrir une enquête complète en Irak car l’examen préliminaire avait conclu que les crimes présumés n’étaient pas suffisamment graves ou généralisés pour atteindre seuil de gravité requis.
Cependant, il avait souligné que la question pouvait être réexaminée si de nouvelles preuves venaient à faire surface.
Phase QUATRE: Si toutes les phases précédentes indiquent qu’il y a des raisons d’ouvrir une enquête, la dernière phase, les intérêts de la justice, offre au procureur un « élément de pondération » pour ne pas le faire.
Le BdP a déclaré qu’il s’agit de circonstances spécifiques offrant des raisons substantielles de croire qu’une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice.
Une attention toute particulière est portée aux intérêts des victimes et à la possibilité que ces derniers soient mieux servis si une enquête n’était pas ouverte.
Le BdP a toutefois déclaré que la décision de ne pas ouvrir une enquête dans l’intérêt de la justice demeurerait une option exceptionnelle.
Stimuler les poursuites au niveau national?
Si toutes les phases décrites ci-dessus sont achevées et que le procureur croit qu’une enquête complète est nécessaire, elle devra présenter son dossier aux juges préliminaires de la CPI qui prendront la décision finale d’autoriser ou non l’ouverture d’une enquête.
Cependant, le Royaume-Uni en tant qu’État partie à la CPI, a la responsabilité principale de prévenir et de punir les crimes.
Par conséquent, un aspect particulièrement important de l’examen préliminaire du BdP consiste à encourager le Royaume-Uni à enquêter, et éventuellement poursuivre les responsables des crimes qui auraient été commis entre 2003 et 2008.
La décision provoque de vives réactions
L’annonce du procureur a été saluée par certains et décriée par d’autres :
Carla Festman, directrice de REDRESS, organisation membre de la Coalition : « Jusqu’à ce que justice soit faite et perçue comme telle dans le cadre de toutes les affaires de maltraitance de prisonniers, la CPI a sans aucun doute des motifs pour examiner les allégations de mauvais traitements systématiquement infligés par les soldats britanniques aux détenus en Irak. La CPI exerce sa compétence si un pays n’a pas la capacité ou la volonté d’enquêter ou d’engager des poursuites. À ce jour, le Royaume-Uni n’est pas parvenu à engager des poursuites crédibles reflétant l’étendue ou la gravité des violations présumées … ». [Traduction informelle]
Clive Baldwin, conseiller juridique principal à Human Rights Watch : « Le Royaume-Uni est l’un des pays fondateurs et partisans de la Cour, mais il se montre souvent réticent lorsqu’il s’agit d’appliquer au niveau national les normes qu’il promeut au niveau international. Plus spécifiquement, aucun élément indique que les autorités britanniques aient jamais appliqué le principe de la responsabilité hiérarchique, principe de base du droit pénal international, et qui consiste à tenir les dirigeants militaires et civils pour responsables des crimes de guerre commis par leurs subordonnés ». [Traduction informelle]
Dominic Grieve, procureur général du Royaume-Uni: « Le gouvernement rejette catégoriquement les allégations d’abus systématiques qui auraient été commis par des membres des forces armées britanniques en Irak. Les soldats britanniques comptent parmi les meilleurs au monde et nous nous attendons à ce qu’ils agissent dans le respect des normes les plus strictes, dans le respect du droit national et international. D’après mon expérience, la vaste majorité de nos soldats répondent à ces attentes ». [Traduction informelle]
William Schabas, universitaire: « Pour la Cour, il est positif de s’engager dans des États en dehors de l’Afrique, d’aller là où se trouvent les intérêts des grandes puissances. Cela permettra de véhiculer l’image d’une institution indépendante et impartiale, capable de juger les puissants comme les faibles ».
Exprimez-vous: Que pensez-vous de l’annonce du procureur?