
Le chef de milice congolais Germain Katanga sur les écrans de télévision de la salle de presse de la CPI. REUTERS/Phil Nijhuis
La condamnation du chef de milice congolais Germain Katanga par la CPI plus tôt ce mois-ci, a été largement saluée comme une étape importante pour la justice en République démocratique du Congo. Cependant, la décision des juges de le déclarer coupable en tant que complice tout en l’acquittant des charges relatives aux crimes sexuels et aux soldats a suscité une controverse. Dans le même temps, la société civile insiste sur le fait que la quête de justice dans le pays reste intense.
Coupable en tant que complice dans une décision à double tranchant
Le 7 mars, deux des trois juges de la Chambre de première instance II ont déclaré M. Katanga coupable du crime contre l’humanité de meurtre, et de plusieurs chefs de crimes de guerre, à savoir meurtre, attaque contre une population civile, destruction de biens et pillage, commis en février 2003, durant l’attaque du village de Bogoro, situé dans le district de l’Ituri à l’Est de la RDC en proie aux troubles.
Les juges ont déclaré que l’accusation n’avait pas prouvé au-delà du doute raisonnable que M. Katanga était présent, mais ont estimé que son soutien logistique et militaire avait contribué à la « capacité de frappe » d’une milice Ngiti lors de l’attaque de Bogoro (dont la population est majoritairement composée de Hema) qui a coûté la vie à plus de 200 personnes.
Bien que la Chambre de première instance ait déclaré que l’accusation n’était pas parvenue à prouver les charges initialement retenues contre M. Katanga en tant qu’auteur principal au vue de sa fonction de commandant ayant la capacité de donner des ordres ou de punir ses troupes, elle a utilisé ses pouvoirs spéciaux et procédé à la requalification du mode de responsabilité pénale en tant que complice.
L’impartialité de la Cour a pu être observée au travers de l’opinion partiellement dissidente de la juge Christine Van den Wyngaert, qui s’est opposée à cette requalification. Mme Van den Wyngaert a déclaré qu’en conséquence, M. Katanga n’avait pas bénéficié d’un procès équitable, en particulier étant donné qu’il avait témoigné de sa complicité durant le procès. Cet aspect de la décision a suscité de nombreux débats.
Initialement, M. Katanga était accusé aux côtés d’un autre chef de milice, Mathieu Ngudjolo Chui, dans le cadre d’un procès débuté en novembre 2009. Toutefois, fin 2012, les affaires ont été disjointes et M. Ngudjolo Chui a été acquitté par manque de preuve. Un appel de la décision a été interjeté. Dans le même temps, M. Ngudjolo a été remis en liberté et a depuis déposé une demande d’asile auprès des Pays-Bas.
Lorsque les deux affaires ont été séparées, les juges ont déclaré qu’ils envisageaient de changer le mode de responsabilité pénale de M. Katanga. Les litiges autour de cette question ont retardé le procès la plupart du temps en 2013. Dans leur jugement de 711 pages, les juges ont déclaré que la défense avait disposé de suffisamment de temps pour mener des enquêtes supplémentaires. (Un résumé du jugement est également disponible en anglais).
Un accueil mitigé
Le troisième verdict de la Cour a été largement salué par les victimes et les organisations de la société civile, ainsi que par le Secrétaire Général de l’ONU , l’Union européenne, la Belgique et d’autres acteurs. Toutefois, beaucoup ont nuancé leur enthousiasme, déclarant que le verdict devrait marquer un regain d’efforts pour mettre fin à l’impunité dans l’Est de la RDC, où les civils souffrent toujours quotidiennement aux mains des groupes armés.
Le coordinateur de la Coalition William Pace a déclaré que le verdict constituait une victoire pour les victimes et leurs familles. Il a appelé le gouvernement congolais à se placer dans le sillage de cette affaire en accroissant la responsabilisation pour les crimes graves au niveau national ; il a également exhorté la CPI à tirer des enseignements de cette affaire afin de réduire la durée des procès dans le futur.
Eloi Urwodhi Uciba de la Ligue pour la paix, les droits de l’homme et la justice en RDC a applaudi le verdict, affirmant que la décision tombait au bon moment pour la population d’Ituri et des environs.

Bukeni Waruzi, WITNESS et AJEDI-KA/Child Soldiers Project, au téléphone au Sud-Kivu. Photo d’Heidi Schumann.
Bukeni Waruzi, directeur de programme pour l’Afrique et le Moyen-Orient de WITNESS, et fondateur de AJEDI-KA/Child Soldiers Project, a insisté sur le fait que le verdict devait servir de « catalyseur et d’inspiration pour l’établissement de tribunaux locaux et poursuivre les criminels de bas niveau ».
Fidel Nsita, le représentant légal du groupe de victimes le plus conséquent dans l’affaire a déclaré qu’ « au fond d’elles, beaucoup de victimes voudraient croire que, d’une certaine façon, ce jugement contribuera à la paix et la réconciliation ».
Dans une déclaration collective, 140 organisations de la société civile congolaises et internationales, tout en remerciant le Procureur de la CPI Fatou Bensouda pour sa contribution à la lutte contre l’impunité dans le pays, ont appelé la Cour à poursuivre ses enquêtes et enjoint le gouvernement de prendre des mesures concrètes pour améliorer les mécanismes de responsabilisation nationaux.
Karim Lahidji de la Fédération Internationale des Droits de l’homme a également salué la condamnation tout en exhortant la Cour à déployer des efforts concertés pour mettre en place une stratégie de communication et de sensibilisation en RDC.
Stéphanie Barbour d’Amnesty International a déclaré que le verdict apporterait un certain sentiment de justice aux victimes de violence en RDC et qu’elle espérait que cette affaire inciterait le gouvernement à prendre en charge d’autres cas qui ont jusqu’alors échappé à la justice.
Jean-Philippe Kot d’Avocats Sans Frontières a indiqué que si verdict constituait une avancée pour la lutte contre l’impunité, le procès n’avait en revanche pas permis d’identifier les véritables responsables de l’attaque de Bogoro.
Acquitté des charges relatives aux crimes sexuels et aux enfants soldats
Dans cette affaire, la première de la CPI à inclure des accusations relatives à la violence sexuelle et basée sur le genre, M. Katanga a été acquitté des charges d’esclavage sexuel et viol. Les juges n’étaient pas convaincus que ces crimes, contrairement à d’autres, faisaient spécifiquement partie du dessein commun de l’attaque de Bogoro, et par conséquent qu’ils n’étaient pas en mesure d’établir la responsabilité de Katanga en tant que complice.
Katanga a également été acquitté du crime d’utilisation d’enfants soldats pour prendre activement part aux hostilités. Les juges ont déclaré que bien que des enfants aient fait partie des forces armées et participé au niveau militaire et logistique, les preuves n’étaient pas suffisantes pour prouver la responsabilité de M. Katanga à cet égard, au-delà du doute raisonnable.
Le coordinateur de la Coalition M. Pace, a fait part de ses inquiétudes concernant l’incapacité à traduire les responsables de ces crimes sexuels et de l’utilisation d’enfants soldats en justice. Brigid Inder de Women’s Initiative for Gender Justice, a exprimé sa déception face à l’inaptitude à prouver les accusations de crimes sexuels, affirmant qu’il s’agit d’un résultat dévastateur pour les victimes. Kelly Askin de l’Open Society Justice Initiative a approuvé ces propos, déclarant que l’incapacité de la Cour à condamner quiconque pour des charges de viol, esclavage sexuel, et autres crimes sexuels était inacceptable.
Cependant, Karen Naimer de Physicians for Human Rights a écrit que l’affaire représentait un « progrès » en matière de crimes sexuels et basés sur le genre, car il a montré la détermination de la Cour à obtenir justice pour ces crimes.
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